Lécole nest pas un monde à part de la société. Il néchappe ni aux lois du marché ni aux besoins de lentreprise. La fonction de lécole, dans une société capitaliste, est de former des travailleurs. Cela na jamais changé, même si pendant les années1970, le taux de chômage extrêmement faible aidant, la fonction économique de lécole a été partiellement remise en cause (tentatives dexpériences pédagogiques échappant à la logique de lÉtat, Dolto dans chaque foyer, remise en question de la supériorité du travail intellectuel sur le travail manuel, etc.). Cette critique, par son ampleur, a été capable momentanément de ralentir les réformes utilitaristes de lÉtat en mettant en avant lautonomie des élèves (foyers gérés collectivement par les lycéens), lexpérience des débats critiques (assemblées générales fréquentes dans les lycées et débats à lordre du jour dans les classes). Assez rapidement, lÉtat, sur la défaite de ce mouvement, a, pour le rendre inoffensif, détourné les idées quil contenait ; par exemple, lautonomie pourtant indissociable du collectif, sest transformée en valorisation de lindividu qui réussit non plus avec mais au détriment des autres.
Même si ces luttes ont pu ralentir la logique de lÉtat, celuici na jamais cessé de poursuivre au sein de linstitution scolaire son but initial. Contrairement aux idées largement répandues par lensemble de la classe politique, ce nest pas le «laxisme post-soixante-huitard » qui serait à lorigine de la crise que connaît aujourdhui lécole, ce sont bien les nouvelles contraintes imposées par le marché qui dictent les orientations du système scolaire : chômage croissant, précarité des emplois et des statuts, développement du travail intérimaire, délocalisation, déqualification. Lécole doit gérer aujourdhui une génération dont lavenir est de dériver entre RMA, emplois précaires, chômage: adaptabilité, polyvalence. Lécole na pas comme fonction de dispenser un savoir général qui permettrait à chacun de choisir entre différents emplois stables (le grand mythe de léducation démocratique et républicaine) mais dapprendre à chacun à accepter de se conformer aux nouvelles règles qui définissent le comportement dun bon citoyen, quil soit chômeur, travailleur ou précaire. Et comme cette réalité nest pas facile à imposer, et pour cause, la tendance est plutôt à la répression. Même si ces dernières années nont pas été riches en mouvements lycéens ou étudiants, ici et là des réactions, le plus souvent individuelles et désordonnées, parfois en se trompant dennemi, ne manquent pas dexprimer leur malaise ou leur colère. Le cadre sécuritaire a pour objet de prévenir et dendiguer toute réaction, tout débordement de la part des élèves.
Alerte aux sauvageons
Depuis plusieurs années, la propagande institutionnelle désigne les jeunes comme un danger, une menace aux personnes et aux biens. Ces bandes de sauvageons sans foi ni loi ne reconnaissant aucune autorité seraient animés exclusivement par lappât du gain, la violence gratuite
Dune part, on ne voit pas pourquoi ces jeunes ne seraient pas mûs par les mêmes valeurs que celles de la société qui les entoure, à savoir consommation et chacun pour soi ; et dautre part les conditions de vie produisent des angoisses de plus en plus importantes, par définition sans objet, que le pouvoir exploite sous le vocable de «sentiment dinsécurité », qui provient davantage de peurs dune autre nature, peur de lavenir, peur dêtre licencié, etc. Le dernier matraquage médiatique date de la campagne électorale présidentielle, qui faisait des écoles le théâtre de violences graves quotidiennes, sappuyant sur quelques cas isolés pour en faire une règle générale : les jeunes devenaient ainsi une des principales causes du désordre social. Télé, journaux, magazines, aux ordres, se sont déchaînés à grands coups dimages et de reportages chocs pour bien faire entrer dans la tête de chacun lidée que les cours décoles sétaient transformées en lieux de violences extrêmes où le viol, le racket, les tabassages étaient monnaie courante et que cette réalité effrayante sétendait même autour des établissements. Une réalité qui ne pouvait laisser insensible des parents désemparés et un gouvernement toujours prompt à sauver du chaos une génération en perdition ; face à un tel tableau apocalyptique, il devenait incontournable dadopter des mesures fortes sans ambiguïtés.
Dans les faits et au regard même des chiffres communiqués par les programmes informatiques mis en place par lÉtat pour évaluer limportance des faits de violence, il sagit davantage dun sentiment dinsécurité que dinsécurité : une fois ôtés les bâillements, les bavardages, les moqueries qui ont toujours existé et qui témoignent plus de lennui que de la marque dun esprit séditieux, les actes graves restent peu nombreux au vu du nombre de personnes concernées (5,5 millions délèves pour 500 000 fonctionnaires de lÉducation nationale) ; désormais, il suffit quun acte ou un comportement soit pénalisable pour quil soit considéré comme grave. Ces dernières années ont vu apparaître de nouveaux délits : linsulte, les menaces peuvent désormais conduire devant les tribunaux, surtout quand ils sont dirigés contre des personnes dépositaires de lautorité publique. Les cas de violence sont évidemment plus nombreux dans les grandes villes, les cités où habitent les plus pauvres ; ce qui, il y a encore peu de temps, était perçu comme les conséquences de dysfonctionnements sociaux, économiques, est désormais présenté comme relevant de la responsabilité individuelle. Bien sûr, il existe encore la conscience que, pour certains, cest plus difficile que pour dautres dintégrer cette société, mais quand on veut on peut.
Les parents, surveillés surveillants Les parents, après des années de propagande les désignant comme responsables du comportement de leurs enfants dans la société, sont désormais assujettis par la loi, qui les oblige à être des agents du contrôle social prévenant tout écart de conduite de leurs bambins, faute de quoi ils en deviennent les complices.
Depuis le colloque de Villepinte en 1997, un large consensus politique entérine léchec de la prévention pour axer les efforts gouvernementaux sur le tout-sécuritaire et lidéologie qui laccompagne : individualisation, psychiatrisation, criminalisation ; ce ne sont plus les choix politiques, économiques qui sont à remettre en question quand léchec est patent mais lindividu archaïque incapable de sadapter à la «modernité ». Ce nest pas son environnement social quon interroge mais plutôt son entourage familial, qui est désigné comme lorigine du dysfonctionnement. Par exemple, dans le cas de labsentéisme de lenfant, tout un dispositif se referme sur le parent «démissionnaire », aussi infantilisant que culpabilisant. De lécole pour parents, faite pour éduquer, à la suppression ou la mise sous tutelle des allocations à lassistance éducative de la famille, tout cela permet à lÉtat de simmiscer dans de nombreux foyers et de déposséder partiellement ou totalement de lautorité parentale des familles qui sont le plus souvent les plus démunies. Lamende reste une sanction forte, prétendument égalitaire (même si le législateur a omis de la calculer sur la base du quotient familial). Les mesures de suspension dallocations nont pas été retenues par le gouvernement pour pénaliser labsentéisme, il est réconfortant de constater que seulement 17 caisses dallocations familiales sur 123 avaient accepté de collaborer à cette besogne. Lexemple phare anglo-saxon va plus loin. Les parents peuvent devenir de véritables matons chargés de garder leurs enfants assignés à résidence avec ou sans bracelet électronique, de contrôler leurs fréquentations sous peine demprisonnement. Labsentéisme est décrit en France comme un véritable fléau alors quil faut en relativiser lampleur. Il devient un délit majeur, désignant les enfants et les parents comme des délinquants quil sagit de redresser. Un dispositif humiliant «propose aux parents désemparés par les événements de suivre un module de soutien qui les aidera à restaurer leur autorité », explique-ton au ministère de la Famille. Si cet accompagnement créé par le préfet de chaque département ne permet pas de redresser la barre, les psychologues, éducateurs, conseillers conjugaux ou délégués de parents délèves pourront visiter les familles jusque dans leur domicile. Si labsentéisme persiste, lÉtat aura alors fait le maximum et passera à lamende (750 euros). Si les parents refusent de se plier aux injonctions, les textes permettent de les poursuivre pour défaut déducation et de les condamner à deux ans de prison et à 30000 euros damende. Un enfant est considéré comme absent sil a manqué la classe sans motifs «légitimes » ni excuses «valables » au moins 4 demi-journées dans le mois. Alors linspecteur dacadémie pourra activer le dispositif. De fait, depuis ce colloque de Villepinte, la gauche plurielle a explicitement placé la sécurité comme une de ses priorités. Elle a prétendu avoir été au bout dune politique de prévention, davoir conclu à son inefficacité et donc être dans lobligation dopter pour le tout-sécuritaire, seul moyen de répondre aux problèmes engendrés par la restructuration du monde du travail. Cétait dautant plus facile que la prétendue politique de prévention sétait contentée de quelques coups de peinture sur les façades des cités ghettos. Ces quelques miettes auront finalement servi à imposer, sans susciter trop de réactions, une politique répressive et sécuritaire (politique de la ville, lois sur la sécurité quotidienne, loi sur la sécurité intérieure, loi Perben 2, etc.).
Les nouveaux dispositifs sécuritaires
Larsenal coercitif enserre de plus en plus les établissements scolaires et leurs alentours grâce à lapport des nouvelles technologies, à la redéfinition du cadre dintervention des éducateurs, du milieu associatif et des forces de lordre, au droit omniprésent et à larchitecture de type carcéral.
Le logiciel Sygna, installé à grands frais dès la rentrée 2001, permet de recenser les phénomènes graves de violence à lécole. Cest-à-dire ceux qui font lobjet dun signalement à la police, à la justice, aux services sociaux du conseil général, ou qui ont donné lieu à un dépôt de plainte. Sa mise en place permet « dharmoniser et de clarifier » les procédures de signalement et de circulation de linformation, en particulier avec les flics, les gendarmes, les parquets et les éducateurs de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse). Les données comportent des informations sur les auteurs et les victimes, sur les lieux où se sont déroulés les faits. Les résultats transmis par Sygna font moins de bruit que les prétendues raisons de son installation. Ils constatent à la fois que les incidents graves restent exceptionnels : peu décoles sont concernées, 420 sur 53 000, ce qui correspond à un incident pour 10 000 élèves. En 2001, 41% des établissements qui ont répondu nont signalé aucun acte de violence. Dans le second degré, les violences physiques sans arme représentent 30 % de ces actes, les insultes ou menaces graves 23 % et les vols ou tentatives de vols 10%. Heureusement, de nombreuses équipes denseignants et leur directeur «nont pas compris lobligation de signalement » et rechignent ou sopposent à lidée dentrer dans la logique sécuritaire (à sa mise en place, le taux de participation était inférieur à 50%). La plus grande des violences reste celle que les jeunes exercent contre eux-mêmes, comme une marque dimpossibilité de sadapter à ce monde, qui peut conduire au suicide, qui est une des premières causes de mortalité chez les jeunes.
Les architectes restent mobilisés pour défendre la société contre les fléaux sociaux. Ils doivent intégrer la dimension sécuritaire dans leurs cahiers des charges : hauteur des murs, installation de grillages, de systèmes de vidéosurveillance, de portails automatiques, de points de contrôle électroniques et informatiques, de détecteurs de présence. «Défendre le bien-fondé dun espace défendable ne reviendrait-il pas, dès lors, à défendre le système social de moins en moins défendable dun point de vue éthique et politique quil vise à perpétuer ? » (J.-P. Garnier, 2003). Il faut croire que pour contraindre, contrôler et soumettre, rien nest hors de prix, lÉtat ne manque pas de budgets quand il sagit de sécurité. La région Ile-de-France consacre par exemple près de 8millions deuros pour installer des équipements de sécurité dans les lycées ; la région Provence-Côte dAzur fait de même, le conseil général des Hauts-de-Seine a prévu dinstaller un dispositif de vidéosurveillance dans la totalité des 90 collèges du département pour un coût total denviron 1,7 million deuros sur trois ans.
Depuis 1996, lintrusion dans une école, un collège ou un lycée constitue une contravention de 5e classe qui peut être sanctionnée de 1500 euros damende. Bayrou, alors ministre de lÉducation, avait rétabli cette disposition, avec la loi anticasseurs, précédemment supprimée en 1981 . En 1996, il y avait eu 57condamnations, 600 en 2000, au cours de lannée 2001-2002, les chefs détablissements ont fait état de plus de 2000 intrusions.
«Le but des anciens était le
partage du pouvoir social entre
tous les citoyens dune même
patrie. Cétait là ce quils
nommaient liberté. Le but des
modernes est la sécurité dans
les jouissances privées, et ils
nomment liberté les garanties
apportées par les institutions à
ces jouissances.»
B. Constant.
Lélève citoyen
Le droit, qui sinsinue dans toutes les sphères de notre vie, népargne pas lécole. Le droit considéré comme valeur intrinsèque et indiscutable du progrès place lÉtat et ses lois en dehors de toute critique possible. Tout est pensé pour que lon ne sinterroge plus sur le bien-fondé dune telle conception, celle de ce droit qui prétend régir, organiser, réguler lensemble des rapports sociaux pour le bienêtre de tous alors quil nest que lexpression de la domination arbitraire, sinon totalitaire, dune minorité sur tous les autres. Le droit, cest avant tout celui du plus fort. Sexprimer dans le cadre de la loi revient à aller voter, participer à la vie républicaine au sein des structures hiérarchiques prévues à cet effet, accepter la délégation de pouvoirs, respecter les lois et principalement la propriété.
Dans Le Droit de la vie scolaire, de Yann Butner, André Maureu et Blaise Thouvery (chez Dalloz), sont inscrits les droits et les devoirs et leurs pendants, les punitions : par exemple, on trouve les textes qui réglementent le droit de réunion : «La liberté de réunion reconnue en France depuis la loi du 30 juin 1881 a été étendue aux mineurs par la convention internationale sur les droits de lenfant du 20novembre 1989. Le décret du 8 octobre 1990 lintègre à notre droit national. Sagissant des élèves des établissements publics denseignement, la réglementation reconnaît cette liberté depuis 1985. Larticle 3-3 du 30 août 1985 modifié détermine en effet un régime dexercice encadré soumis aux principes de neutralité et de laïcité dont le chef détablissement demeure le garant. » On pourrait croire quavant 1985 personne ne se réunissait. Paradoxalement, depuis 1981, la loi autorise les réunions, mais le cadre quelle fixe les interdit de fait. Alors quhier le rapport de forces créait des espaces de rencontres, de discussions, de critiques qui échappaient à la tutelle de lautorité, aujourdhui il paraît impensable, fou, incroyable dimaginer que des élèves puissent organiser une réunion politique dans un établissement scolaire sans en demander lautorisation. Les mouvements lycéens des années 1970 avaient imposé la création de foyers autogérés, de panneaux dexpression libres de toute censure. Cela faisait partie des règlements intérieurs des établissements scolaires dans lesquels les lycéens étaient considérés comme des adultes et non pas comme déternels irresponsables. Lespace public (comme lécole) est la propriété de lÉtat, contrôlé par ses représentants. Il nappartient en rien au «public », masse immature irresponsable et chaotique qui ne peut sexprimer intelligemment en dehors des normes et des instances garantes de lintérêt collectif. Les seuls espaces de «liberté » tolérés restent le domicile privé... dans la limite où ça ne gêne pas la liberté de lautre... La liberté, cest quand on nen prend pas ! Le droit cest le mensonge du tous égaux devant la loi à défaut de lêtre dans la représentation politique.
«Les enfants découvrent que les
contraintes de la vie collective
sont les garanties de leur liberté,
que la sanction, lorsquelle intervient,
ne relève pas de larbitraire
de ladulte mais de lapplication
de règles librement acceptées...
Lenfant prend conscience de son
appartenance à une communauté
qui implique ladhésion à des
valeurs partagées, à des règles de
vie, à des rapports déchanges.
Dun côté, la perception de principes
supérieurs que lon ne discute
pas, normalement imposés,
condition de la liberté et du développement
de chacun. De lautre,
la libre organisation dun groupe
est lélaboration dun contrat
après discussion, négociation,
compromis.»
L. Ferry, lettre de rentrée 2002.
Le règlement intérieur
Le « contrat éducatif » ou « contrat de vie scolaire » est présenté comme une charte librement acceptée par la communauté scolaire. Cependant, en droit, il est un acte administratif unilatéral qui na pas besoin du consentement des parties pour être exécutoire. Il pose les obligations des usagers allant jusquà refuser leur admission sil nest pas lu et approuvé. Ces règlements sont mis en place dès la maternelle, lus et signés dès 6 ans par des enfants qui ne savent encore ni lire ni écrire et qui apprennent dès le plus jeune âge à acquiescer sans comprendre. Le règlement qui tend à suniformiser sapparente à un catalogue dinterdits qui, sil nest pas respecté, entraîne des sanctions, des punitions, des mesures de réparation, voire dexclusion. Le conseil de discipline chargé de faire appliquer ces règlements intérieurs sapparente lui à un tribunal : il est constitué de onze membres (un de moins que pour une cour dassises), six fonctionnaires, trois parents délèves et deux élèves. Ce « prétoire » scolaire vise à sanctionner systématiquement, tolérance zéro oblige, tous les contrevenants aux règles : lexclusion, temporaire ou définitive, est la mesure ultime sans être pour autant exceptionnelle ; les actes dits « graves » mais isolés sont sanctionnés par « lexclusion-inclusion » : lélève reste dans létablissement mais prend part à des tâches dites « réparatrices », ou il est accueilli provisoirement dans des institutions sociales ou médico-sociales (type Samu) ou dans des services dincendie et de secours ; ou bien il participe à des travaux dintérêt général. Enfin, les pouvoirs du chef détablissement se voient renforcés, il peut entre autres exclure les élèves majeurs de sa propre autorité.
Dans ce monde où le droit tente de médiatiser lensemble des rapports, lÉtat assure lintégrité physique, morale, matérielle de chacun de ses citoyens en échange de leur renoncement à la vie politique. Dans ce système, chaque individu, chaque participant devient le dépositaire de ce nouveau « contrat social » et a pour charge den assurer la reproduction. La prolifération du droit induit nécessairement la création des agents pour le faire respecter. À lécole, les enseignants sont protégés, au même titre que les policiers, par la loi qui stipule que « lorsquil est adressé à une personne chargée dune mission de service public et que les faits ont été commis à lintérieur dun établissement scolaire ou éducatif, ou à loccasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords dun tel établissement, loutrage est puni de six mois demprisonnement et de 7500 euros damende ». La loi, en accordant un statut particulier à ses fonctionnaires et en les soutenant systématiquement lors des procès, rend quasi impossible la remise en cause par des élèves ou des parents des prérogatives des professeurs, même si ceux-ci sont pris la main dans le sac.
Fini linstituteur tyran, plein de pouvoirs affichés, régnant en maître sur son navire. Vive lenseignant citoyen qui dénonce aux autres rouages les dysfonctionnements quil observe et quil livre dans les mains du système policejustice, en pensant peut-être quil nen fait pas partie alors quil en devient une cheville, bien plus que le maître peau de vache qui pouvait se passer de cette organisation de séparation de pouvoirs. Il y a peu de temps une séparation nette existait encore entre le monde de linstruction et celui de la répression : même si la police avait le droit darrêter un élève dans sa classe, les réactions désapprobatrices des professeurs et de ses camarades étaient courantes voire dissuasives. Aujourdhui chaque établissement scolaire a un policier référent.
Pour garantir la paix et la tranquillité, gages de prétendue félicité, qui a en réalité plus la saveur des antidépresseurs et des programmes débilitants du petit écran, lÉtat sest doté de moyens de contrôle et de coercition de plus en plus sophistiqués et généralisés. Pour le pauvre bonheur des uns, il faut contraindre tous les autres, par la force si besoin est. Le fondement du système capitaliste reste lexploitation des uns par les autres. Les rapports induits par cette logique sont nécessairement conflictuels. Le droit pour ceux qui se conforment, la punition pour ceux qui lenfreignent. Il est symptomatique que leur droit ait la couleur bleu marine, que lÉtat construise des prisons et pas des écoles, que pour chaque fonctionnaire qui part à la retraite cen est un en uniforme qui arrive, que les partenaires de lécole sont des flics plutôt que des poètes... Nen déplaise aux adeptes de lÉtat, demander plus de droits revient à contraindre de plus en plus lespace de la liberté et à étendre celui de la punition.
Entre autres nouveautés...
«Un dispositif de surveillance et de sécurité adapté doit être mis en place avec le concours des services de police et de gendarmerie, de la police municipale, le cas échéant, des agents locaux de médiation sociale, des aides éducateurs, des services municipaux, ainsi que des entreprises participant au transport des élèves.
«Mise en place de procédures dinterventions rapides en cas dincident afin de permettre une réaction extrêmement rapide et appropriée quand il se produit un incident grave... Les modes opératoires devront sappuyer sur les actions mises en oeuvre pour prévenir et lutter contre les phénomènes de violence : police de proximité, brigades de la prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie, adultes relais, chefs de projet des sites en contrats de ville, associations et services daide aux victimes, les modalités et traitements des incidents scolaires quelles mettent en oeuvre (traitement en temps réel de procédures pénales, mesures de réparation ou de médiations pénales pour les auteurs dinfractions). » Pour ce faire, le ministère somme chaque département dIle-de-France dorganiser avant la rentrée une réunion rassemblant préfet, recteur, procureur de la République, inspecteur dacadémie et responsables de la police et de la gendarmerie, ainsi que lensemble des autres services de lÉtat qui pourraient être concernés et particulièrement la direction de la PJJ et la direction départementale de la Jeunesse et des Sports. Pour plus defficacité, il sagit de mettre en lien les différents dispositifs existant déjà sur la ville, le département : «Dune façon générale, il sagira dencourager le développement des dispositifs contractuels existants en matière de politique, de sécurité et déducation, contrats de ville, CLS, contrats éducatifs locaux. » Dans ces réunions, les acteurs sociaux et les professionnels de la répression échangent des informations, dénoncent nominativement les fauteurs de troubles. Là où jamais les municipalités, les régions, etc. ne demandent lavis des citoyens sur lintérêt dune mesure, elles les mobilisent pleinement sur le maintien de lordre public.
ACTION-RÉACTION
«On doit cependant constater que les années soixante ont vu apparaître et se développer une autre conception de léducation. Il ne sagit alors plus tant de faire en sorte que lélève devienne autre quil est, que de viser, selon la formule célèbre, à ce quil devienne ce quil est en épanouissant pleinement sa personnalité. De là une préférence marquée pour les dispositifs pédagogiques qui cultivent dautres qualités que les traditionnelles valeurs du mérite, de leffort et du travail : lexpression de soi plutôt que le souci des héritages transmis, plutôt lesprit critique que le respect des autorités, la spontanéité plus que la réceptivité, linnovation plutôt que la tradition, etc. Ces valeurs ne sont pas négatives en tant que telles, loin de là, mais cest finalement lidée de norme supérieure à lindividu qui est dénoncée comme aliénante, de sorte que, derrière la critique de lécole républicaine, cest un nouvel essor de lindividualisme qui sest installé. »
Luc Ferry, Lettre à tous ceux qui aiment lécole, juin 2003.
«Il y a eu des vitres cassées, les caméras de surveillance détériorées... rien de volé. Cest un message de la cité qui dit que vous faites partie du système des institutions haïes, on vous rejette, puis on balance ladjectif de collabo à un prof. Classification hautement politique, ce nest pas une insulte classique, cest une analyse. » (Un prof.)
De Dray-Allègre à Ferry-Sarkozy
Dans la psychose sécuritaire les jeunes ont eu une place de choix : entre Dray, «Il faut faire comprendre aux caïds de banlieue qui sortent des commissariats en faisant des bras dhonneur que la rigolade est finie », et Chevènement, «Il est urgent de mettre un terme à la chienlit des sauvageons... La répression appartient pleinement à la prévention, parce que la répression est dissuasion », le sort de ceux qui ne sintègrent pas au système scolaire se profile dans une direction unique, celle de lenfermement. Les enfants, tout comme leurs parents, néchappent pas à la règle de la responsabilité individuelle. Sils sont en échec scolaire, cest quils lont volontairement choisi et du coup ils nont plus quà assumer la juste sévérité de la loi à lencontre de leurs éventuelles «déviances ». Il nexiste pas de droit sans punition et, pour les élèves, pas décole citoyenne sans prolifération de classes relais, de centres éducatifs fermés et de prisons pour mineurs. La jeunesse, symbole du souffle nouveau, du désordre constructeur, des passions créatrices, du mouvement, est désormais synonyme de dangers producteurs de peurs et de chaos. Simplement dit, un monde sans avenir a tout à craindre de sa jeunesse, le capitalisme ne sy trompe pas et tente de les formater depuis la maternelle.
De la classe relais à la prison
Linstruction reste obligatoire jusquà 16 ans, mais comme lâge pénal a baissé de 16 à 13 ans depuis août 2002, lenfant est encadré par une double compétence collégiale, celle du professeur et celle du juge.
Les classes relais mises en place sous Allègre à la rentrée 1997, et qui continuent leur carrière sous tous les gouvernements depuis lors, sadressent à des élèves de collège «entrés dans un processus évident de rejet de linstitution scolaire ». Fillon en prévoit 1500 pour 2010. Ce qui est appelé «rejet » dans ce texte, ce sont des manquements «graves et répétés au règlement intérieur », «un comportement agressif », «un absentéisme chronique non justifié qui a donné lieu à des exclusions temporaires ou définitives détablissements successifs » ; il peut également se manifester par une «extrême passivité, une attitude de repli, un refus de tout investissement réel et durable ». Les classes relais concernent des enfants de 14 à 16 ans en voie de déscolarisation mais ayant un potentiel intellectuel normal et ne souffrant pas de troubles de la santé. Ces structures créées en partenariat avec la PJJ «accueillent » des jeunes pour une durée nexcédant pas un an, en moyenne dun trimestre. Si leur comportement nest pas conforme, «écouter les adultes, respecter la parole des autres, avoir son matériel, effectuer le travail en classe et à la maison», lélève fera lobjet dun entretien avec son aide éducateur référent ; si aucune amélioration nétait constatée, les parents de lélève seraient convoqués ; si le comportement de lélève ne change pas, il sera mis fin à la session.
Depuis août 2002, la loi ne prévoit plus datténuation de la peine due au jeune âge. Lenfant est responsable de ses actes comme un adulte. La majorité pénale est déplacée de 16 à 13 ans, puisque à cet âge on est «capable de discernement ». Dès 10 ans, il est prévu des sanctions éducatives pour les chenapans, qui deviennent du coup des délinquants à surveiller de près : «confiscation de lobjet ayant servi à la commission de linfraction, interdiction de paraître en certains lieux, interdiction dentrer en rapport avec la victime, accomplissement dun stage de formation civique, dune mesure daide ou de réparation ».
Pour les 13-16 ans, la justice se doit de donner une réponse claire et rapide, elle prévoit une procédure de jugement rapproché qui permet au procureur de les poursuivre devant les tribunaux dans un délai compris entre dix jours et deux mois. Pour eux, la perspective de la prison se précise dès quils encourent une peine criminelle ou quils se soustraient aux obligations dun contrôle judiciaire, ou à une mesure de placement dans un centre fermé. La mise en détention ne dépend pas seulement de la gravité de lacte mais du comportement de lenfant, cest sa capacité à se soumettre au cadre qui déterminera la réponse plus ou moins violente de linstitution. Pour répondre dune manière efficace, lÉtat prévoit pour le moment dans son projet de construction de nouveaux lieux denfermement pour les enfants, à savoir 600 places de centres fermés avant 2007 et 900 places de prison pour mineurs (pour plus de précisions, cf. LEnvolée, n° 5, 6, 8 et 9 1).
Il y a un siècle, un réformateur comme Victor Hugo posait comme antagoniques lécole et la prison. Aujourdhui la prison et lécole font bon ménage, éducateurs et instituteurs peuvent exercer à lintérieur des murs: la prison est lélément répressif nécessaire à lexistence de lécole, et lécole est lalibi indispensable à lexistence des prisons.
Témoignage dune collégienne
Exemple du collège de Poussan, dans lHérault, avec dans le rôle des prisonniers, les élèves ; dans le rôle des matons, les pions. Le directeur est joué par le principal. La salle des matons se situe à la vie scolaire, la cour de promenade est nommée cour de récréation. Pour linstant il est encore possible de sen évader, et la principale sanction est lexclusion et non le mitard.
Le collège est entouré de grilles (il est tout de même possible de les franchir). Les entrées et sorties sont surveillées systématiquement par des caméras de vidéosurveillance et deux pions à chaque sortie vérifient les carnets de correspondance (il existe trois régimes de sortie). Il est bien sûr interdit de rester devant le collège, et si au bout dun quart dheure personne nest venu chercher les élèves, ils doivent se rendre à lintérieur et aller à la «vie scolaire », centre de surveillance de létablissement.
Les fouilles sont pratiquées assez couramment. Le principal et le principal adjoint pénètrent régulièrement en plein cours, sans explications, et exigent de fouiller les cartables et les trousses. Le règlement spécifie que tous les casiers peuvent être fouillés à tout moment par ladministration. Au collège de La Salle à Montpellier, une journée de fouille a eu lieu afin de vérifier dans tous les agendas sil ny avait pas de photos érotiques (voire simplement dénudées) qui sont considérées comme une «incitation à la pornographie » et répréhensibles dune exclusion.
Au self-service il est interdit de circuler : une fois assis, plus le droit de se lever
Une fois dans la cour, entre midi et deux heures, les pions effectuent des rondes. Ils circulent constamment pour surveiller les faits et gestes de tous les élèves.
Depuis des années, les élèves réclament linstallation de casiers. Ils seront bientôt installés mais le nombre prévu étant insuffisant, un système de liste dattente va être mis en place. Lélève-citoyen est bien sûr à lordre du jour, la délation est favorisée, et si les casiers sont détériorés (tag, vol) et que le coupable nest pas trouvé, cela entraîne systématiquement la perte du casier et le retour sur la liste dattente. Si le coupable est trouvé, il subit une double peine : dune part il doit réparer (repeindre
) et il est définitivement privé de casier.
Les gendarmes peuvent entrer dans létablissement pour cueillir un «jeune délinquant » en possession dune petite boulette de shit.
Les méthodes de contrôle et de surveillance sont de type policier. Lors dun incident dans la cour de récréation où un groupe délèves en menace un autre, les pions prennent les choses en main et incitent à la délation en mettant en avant le droit de se défendre face aux mauvais éléments et de répondre aux violences. Les fauteurs de troubles doivent être punis. Pour cela la victime est sommée, devant un registre contenant les photos de tous les collégiens de lannée, de reconnaître les coupables pour quils soient sanctionnés.
Avril 2002
ACHEVÉ DIMPRIMER LE 25 DÉCEMBRE 2004 Pour tous contacts Toute reproduction et diffusion de cette brochure est vivement recommandée.
De Ferry (Jules) à Ferry (Luc), en passant par Jospin et Fillon, les réformes en matière déducation poursuivent et développent toutes la même logique : le formatage des esprits et des corps, ladaptation de tous aux lois du marché, la mise au pas du monde scolaire. Au-delà des luttes corporatistes et des contestations parcellaires, ce recueil de textes prend le parti de nourrir la réflexion sur la fonction même de lécole, de disséquer le« ventre de logre »...
Notes4
1. LEnvolée est un journal et une émission de radio de lutte contre les prisons. Pour tous contacts : LEnvolée, 63, rue de Saint-Mandé, 93100 Montreuil,